Pour toutes les plantes cultivées, les espèces sauvages apparentées sont des réservoirs de caractères d’intérêt pour les cultures d’aujourd’hui et surtout pour celles de demain. Mais connait-on toujours les formes sauvages dont sont issues les variétés cultivées ? Que sait-on des évènements qui ont conduit aux formes cultivées ? Par exemple, les consommateurs de café connaissent de nom l’Arabica et le Robusta et les différencient par leur goût. Mais que cachent ces deux appellations ? Combien y-a-t-il d’espèces de caféiers dans le monde et à Madagascar en particulier ? Peut-on voir réunis en un même lieu les différentes espèces de caféiers? Pourquoi la collection de caféiers originaires de Madagascar (appelés Mascarocoffea) est-elle importante à sauvegarder ?
1- Arabica et Robusta
Arabica et Robusta ne sont pas deux variétés d’une espèce cultivée mais bien deux espèces de caféier. A savoir Coffea arabica produisant le café Arabica et Coffea canephora produisant le café Robusta. Originaires toutes deux du continent africain, les deux espèces sont aujourd’hui cultivées dans les régions intertropicales (Amérique centrale et du Sud, Caraïbes, Hawaï, Asie (continent Indien inclus), Australie et bien sûr en Afrique (Madagascar inclus).
Aujourd’hui, les principaux pays producteurs sont sur les continents américain et asiatique.
Aire d’origine de Coffea arabica (en rouge) et de distribution naturelle de Coffea canephora (Robusta, en violet).
Les deux espèces, Coffea arabica et Coffea canephora ont été introduites dans leurs zones actuelles de culture par différentes routes.
Résultat du croisement naturel entre deux espèces sauvages voici quelques centaines de milliers d’années, l’histoire de la consommation et de la culture de l’Arabica commence plusieurs siècles avant celle du Robusta. La première diffusion de l’Arabica a lieu en direction du Yémen à partir de son centre d’origine (Ethiopie – Sud Soudan) entre le 10ème et 13ème siècle. A partir du Yémen, la diffusion de l’Arabica s’est ensuite poursuivie vers l’Inde, l’Indonésie, l’Amérique Centrale et l’Amérique du Sud, les Antilles, la Jamaïque, Hawaï, l’île de La Réunion et la Nouvelle-Calédonie.
Dans tous les cas, la diffusion initiale a été faite à partir de quelques graines ou même d’un seul pied offert au roi de France Louis XIV. Une des caractéristiques de l’Arabica est sa capacité à produire des graines par autofécondation (le pollen d’une fleur est capable de féconder les ovules de la même fleur). Après plusieurs générations d’autofécondation, il en résulte une très faible diversité génétique des descendances, rendant ces cultures quasi monoclonales et donc très fragiles vis à vis des maladies.
Routes de diffusion du café Arabica à partir de la variété originelle Moka (obtenue au port de Mocha, Yémen) et ses dérivées, var typica (origine Java) et var bourbon (origine Île de la Réunion).
Rapidement, la grande sensibilité aux maladies de l’Arabica a conduit les planteurs à rechercher d’autres espèces sauvages à cultiver. Parmi la petite dizaine d’espèces consommées localement, Coffea canephora a été privilégié pour sa productivité, sa robustesse face aux maladies et face aux conditions de culture. La diffusion de C. canephora a donc été plus tardive et s’est déroulée à partir du début du 20ème siècle.
A l’inverse de C. arabica, un pied unique de caféier Coffea canephora ne peut pas produire de graines en raison de son autostérilité. Il y a donc toujours dans une parcelle de production de Robusta plusieurs arbres génétiquement différents favorisant la diversité génétique.
Routes de diffusion du café Robusta (Coffea canephora) à partir de populations originaires d’Afrique Centrale.
Aujourd’hui, les principaux pays producteurs d’Arabica sont en Amérique Centrale. Pour autant, les changements climatiques en cours pourraient modifier la donne si on se réfère à une étude en Ethiopie publiée en 2012. En effet, les hausses de température attendues conduiraient à une baisse sensible des surfaces de culture de l’Arabica. Des pays très dépendants économiquement de la caféiculture pourraient alors faire les frais du réchauffement climatique.
Aires de production du café Arabica en jaune, du café Robusta en vert foncé et du café Arabica et Robusta en vert clair.
2- Caféiers du monde et caféiers de Madagascar
Aujourd’hui, à côté des deux espèces cultivées, on dénombre 127 espèces nommées Coffea, naturellement distribuées entre le continent africain et les îles de l’Ouest de l’Océan Indien (archipel des Comores, îles de La Réunion et de Maurice et Madagascar).
Nombre d’espèces répertoriées dénommées Coffea dans leur grandes aires d’origines, A savoir 32 en Afrique de l’Ouest et du Centre, 17 en Afrique de l’Est, 73 à Madagascar, une dans l’archipel des Comores et 4 à Maurice et La Réunion.
Assez curieusement, les îles de l’Ouest de l’Océan Indien (Madagascar, archipel des Comores, Maurice et la Réunion) comptent à elles seules 78 espèces contre 49 pour le continent africain. Dans chaque grande région géographique, Ouest et Centre, Est et Océan Indien, se trouvent des espèces endémiques de la région (qui ne se trouvent naturellement que dans une seule grande région), ayant développées des morphologies et des caractéristiques différentes.
Exemples de diversité morphologique en termes de forme et coloration des fruits d’espèces sauvages de Madagascar.
En raison de leur large distribution géographique naturelle, les caféiers sauvages ont développé des adaptions à des milieux environnementaux très différents (savane arborée, forêt littorale, forêt sèche, forêt tropicale humide, de basse à haute altitude (2500 m) et même forêts galeries le long des fleuves). Il en est de même pour la nature du sol (sols sableux du littoral, sol latéritiques à sol riche), pour les conditions de température et de pluviométrie. Ainsi, quelques espèces supportent de longues saisons sèches avec une pluviométrie annuelle entre 400 et 800 mm ou encore des températures nocturnes approchant les 5°C. A titre de comparaison, les caféiers cultivés ne supportent pas des températures inférieures à 15°C et nécessitent en moyenne une pluviométrie annuelle de 1200-1800 mm.
Exemple d’habitats de caféiers sauvages à Madagascar, l’île Maurice et l’île de la Réunion.
Hôtes d’habitats forestiers, la disparition des forêts due notamment aux activités anthropiques et aux feux, entraine de facto la disparition des caféiers. Une étude parue en 2019, indique que le nombre d’espèces de caféiers en grand danger de disparition est important notamment à Madagascar et en Tanzanie (Afrique de l’Est).
Distribution du nombre d’espèces Coffea menacées d’extinction. Le niveau de menace augmente en allant du jaune au noir.
3- Les collections vivantes de caféiers
La mise en collection vivante des caféiers est une évidence lorsqu’il s’agit d’étudier leurs développements, leurs phénologies (apparition des fleurs et fructification), leurs caractéristiques (production de caféine, résistance à différents agresseurs, à différentes conditions de culture, capacité de production etc…). Les premières collections de caféiers d’importance ont été constituées dès les années 1960 à Madagascar et en Ethiopie.
A Madagascar, chaque prospection effectuée a permis la découverte de nouvelles espèces et l’enrichissement de la collection constituée sous forêt naturelle primaire aménagée. Six nouvelles espèces ont été décrites en 2021. Pour autant, toutes les tentatives de mise en collection à Kianjavato (côte Est) des caféiers sauvages de la côte Ouest appelés Baracoffea (caféiers du pays des Bara) ont échouées. La collection de caféiers malgaches n’a pas pu être dupliquée par manque de moyens humains et financiers. Située à Kianjavato, elle représente un patrimoine national et international unique.
En Afrique, les prospections n’ont pas pu avoir lieu dans tous les pays pour des raisons d’accessibilité (pays interdits d’accès ou en guerre). Les pays particulièrement visités ont été la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Gabon, la République du Congo et La République de Centrafrique. Pour autant, le Rwanda, la République Démocratique du Congo (ex Zaïre), la Tanzanie et le Kenya sont à l’origine de certaines espèces sauvages ou de formes cultivées figurant dans la collection mondiale de caféiers maintenue dans la station du Centre National de Recherche Agronomique (CNRA) à Divo, République de Côte d’Ivoire, et dans une représentation de cette collection (core collection) maintenue à Bassin-Martin, La Réunion.
A priori, aucune espèce sauvage de Madagascar ne figure dans des collections hors du pays d’origine. A l’inverse, des espèces sauvages africaines sont présentes dans des collections vivantes dans différents pays tel que le Costa Rica, la Colombie ou encore le Brésil.
4- Originalité des caféiers de Madagascar
Les caféiers sauvages de Madagascar sont dits endémiques, c’est-à-dire qu’ils n’existent pas de manière naturelle hors de la Grande Île.
Les caféiers de Madagascar ont pour la grande majorité d’entre eux des cycles courts de 2 à 4-5 mois. A titre de comparaison, chez les deux espèces cultivées majeures, le cycle de production de fruits mûrs est généralement de 8 à 10 mois. Avec les perturbations climatiques actuelles, le contrôle de la durée du cycle de production des fruits pourrait être un caractère intéressant pour une stabilité des zones de production.
Les caféiers cultivés et notamment l’Arabica sont sensibles à différentes maladies et ravageurs. Si on en juge par leur présence à Kianjavato (Madagascar) depuis des décennies pour certaines espèces, les Mascarocoffea observés en collection semblent être tolérants voire résistants et s’accommoder au mieux des différents ravageurs et agents pathogènes.
La comparaison de quelques traits physiologiques chez les caféiers de Madagascar, les caféiers d’Afrique et les deux espèces cultivées, Arabica et Robusta, indique une grande adaptation des caféiers de Madagascar.
Quelques caractères physiologiques et d’adaptation des Mascarocoffea malgaches comparés aux deux espèces cultivées et aux caféiers du continent Africain.
Mais la caractéristique principale des caféiers de Madagascar est la composition en composés biochimiques avec l’absence naturelle notable de caféine dans les graines chez quasiment toutes les espèces. Les caféiers de Madagascar semblent divers par le goût du café boisson qu’ils produisent avec des cafés très amers, des cafés très doux, des cafés neutres. Sans aucun doute, ils mériteraient d’être dégustés par des professionnels en suivant un protocole bien standardisé depuis la récolte jusqu’à la dégustation.
Quelques caractères sensoriels des Mascarocoffea malgaches comparés aux deux espèces cultivées (ND : non déterminé). Sucrose et trigonelline sont des composés qui interviennent dans l’arôme. Plus il y a de sucrose et de trigonelline, plus il y a d’arômes. La caféine apporte l’amertume.
4- A Kianjavato, des caféiers en grand danger de disparition
La collection de Kianjavato comptait fin des années 1970, 6 031 arbres et 43 espèces alors identifiées. En 2017, il ne restait que 3 524 arbres et 44 espèces identifiées.
Bien que conséquente, cette collection est totalement dépourvue des espèces de la côte Ouest appelées Baracoffea distinguées morphologiquement des autres caféiers par leurs fleurs à long tube de corolle. Mais leur caractéristique principale est leur capacité à se développer dans les milieux plutôt arides de la côte Ouest alors que Kianjavato situé sur la côte Est, est sous l’influence d’un climat tropical humide. De par sa localisation géographique, la collection est soumise aux cyclones réguliers annuels. La collection est aussi sujette aux activités anthropiques, à l’action néfaste de diverses lianes et de plantes envahissantes telles que le petit bambou Valiha diffusa.
Au final, les financements nécessaires à son entretien et à sa gestion font de plus en plus défaut. A Madagascar, cette collection, patrimoine national et international, est aujourd’hui fortement menacée de disparition. En effet, les graines de caféier perdent leur pouvoir de germination très rapidement (entre quelques semaines à quelques mois). La conservation en chambre froide des graines telle qu’elle est pratiquée pour des plantes comme le riz ou le maïs n’est donc pas possible. Il n’est pas non plus envisageable de maintenir la collection dans des tubes ou des flacons (micro bouturage) car tous les individus et toutes les espèces ne répondent pas de la même manière à cette technologie.
Il est donc urgent que Madagascar et la communauté internationale mettent à disposition des moyens humains et financiers nécessaires à la duplication, au maintien et à la gestion de la collection de Kianjavato. Issues d’une lente évolution à l’échelle humaine, on ne sait pas recréer les espèces qui disparaissent sous nos yeux. Coffea arabica, issue du croisement entre l’espèce Coffea eugenioides (parent femelle) et Coffea canephora (parent mâle), ne peut pas être obtenue par croisement manuel car les plantes obtenues sont différentes au moins sur le plan morphologique de l’espèce Coffea arabica obtenue naturellement.
Dans ce contexte, la sauvegarde de la biodiversité naturelle (dite in situ) et en collection (dite ex situ) n’est pas un simple sujet de discussion de salon ou d’affichage « éthiquement correct ». Ce sont bien ces ressources biologiques qui apporteront les solutions pour demain. Il est aussi essentiel d’associer les populations locales à cet effort en leur donnant les moyens de vivre (et pas seulement survivre) avec et pour la biodiversité préservée.