Les Baracoffea : un trésor vert oublié de Madagascar

Etymologiquement, Baracoffea vient de deux mots : Bara et Coffea. Bara désigne le « foko Bara », qui est l’une des 18 tribus de Madagascar occupant un vaste territoire dans la partie Sud-Ouest. Les Bara sont connus pour être de féroces guerriers, redoutés par toutes les autres ethnies malgaches. Coffea, est un genre de la famille des Rubiacées comprenant tous les caféiers, cultivés ou spontanés. Les Baracoffea sont des caféiers sauvages originaires du pays des « foko Bara ».

Les Baracoffea (non inclus dans les Mascarocoffea) se composent de neuf espèces et deux sous-espèces. Ses particularités par rapport aux autres espèces de Madagascar (Mascarocoffea), reposent sur des caractéristiques morphologiques florales et sur des caractéristiques d’adaptation à la sècheresse (chute des feuilles pendant la saison sèche, croissance sur des sables blancs dans des forêts sèches, là où la saison sèche est longue (à Majunga de  Avril-Mai  à Septembre-Octobre et à Tuléar de Avril-Mai à Décembre), (https://www.historique-meteo.net/afrique/madagascar).

L’aire de distribution des Baracoffea se limite à côte Ouest de Madagascar, depuis Majunga (Nord-Ouest) à la région de Tuléar (Sud-Ouest), sur une altitude qui varie de 0 à 500m selon l’espèce. La plupart de ces espèces sont plus ou moins résistantes aux feux. Quelques-unes seraient tolérantes à la salinité et se développeraient près de mares d’eau salées.

Très souvent mal connues par les agronomes et les agriculteurs ; ces espèces pourraient constituer un trésor, des ressources biologiques non négligeables pour l’avenir de la caféiculture dans le contexte actuel de réchauffement climatique.

Distribution des Baracoffea. L’état de conservation des Baracoffea est très inquiétant. Sur les neuf espèces et deux sous-espèces décrites, cinq sont en danger critique (CR), trois en danger (EN), une quasiment disparue (NT) et une seule de préoccupation mineur (LC).

Pourquoi porter attention aux Baracoffea ?

Une étude récente prédit que d’ici 2050, les surfaces cultivables notamment en caféier Arabica vont diminuer considérablement à cause du réchauffement climatique. La culture d’Arabica nécessite des températures optimales nocturnes et diurnes respectivement de 15 et 24°C.

Dans ce contexte, les espèces tolérantes à la sécheresse comme les Baracoffea méritent d’être conservées, étudiées pour en préciser toutes les potentialités. Ces caféiers à l’instar d’autres espèces sauvages Africaines pourraient être utiles soit en culture directe, soit en tant que source de gènes d’adaptation à des conditions de culture plus drastiques (température plus élevée, pluviométrie chaotique avec des pluies intenses coupant des sécheresses intenses).

En parallèle, on voit actuellement apparaître un intérêt grandissant pour l’utilisation des espèces sauvages soit directement en culture (c’est le cas de Coffea eugenoides en Colombie (https://cafeinmaculada.com), ou encore Coffea zanguebariae dans l’île de de Quirimba avec des graines utilisées pour produire un cocktail ayant reçu le 2ème prix du concours Coffee in Good Spirit de la Speciality Coffee Association, en 2020 (https://swisssca.ch/sca-coffee-championships/coffee-in-good-spirits-championships/?lang=fr).

La conservation des Baracoffea est urgente.

A Madagascar, toutes les espèces de caféiers sont menacées principalement par les actions humaines (déforestation, feux non maîtrisés). Sur les 74 espèces de caféiers sauvages (Mascarocoffea et Baracoffea), 13 espèces sont en danger critique d’extinction, 40 en danger et 21 sont vulnérables. Sept sur les neuf espèces de Baracoffea sont incluses dans la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature.

Les principales menaces sont surtout liées aux activités anthropiques et aux changements climatiques qui se manifestent par la dégradation et la fragmentation des habitats naturels des caféiers. La menace est d’autant plus forte pour les espèces ayant une distribution restreinte.

Sur l’Île, 40% des forêts naturelles ont disparu au cours de 60 dernières années et actuellement, il ne reste que 10% des surfaces boisées originelles. Les défrichements, les feux de brousse, l’agriculture sur brûlis et l’urbanisation sont les principaux facteurs de cette situation alarmante. Chaque année, près d’un tiers du territoire malgache brûle. De plus, les feux non-contrôlés pour le défrichage et les pâturages provoquent des incendies qui s’étendent vers les zones sauvages. Tout récemment (mi-septembre 2021), le Parc National Ankarafantsika, dans le Nord-Ouest de Madagascar, a pris feu deux fois de suite (https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210915-madagascar-un-incendie-ravage-plus-de-100-hectares-du-parc-national-d-ankarafantsika). Au moins 3 250 hectares ont été ravagés par le feu.

Feux dans le Parc national Ankarafantsika, Septembre 2021. photo : https://laverite.mg/media/k2/items/cache/5603c406da44a7847978bbadfe528a5d_XL.jpg

Un triste état des lieux indique que les 136 000 hectares de forêts de cette aire protégée sont dévorés petit à petit par les feux. A savoir que deux espèces de Baracoffea sont présentes de part et d’autre du Lac Ravelobe à Ankarafantsika (figure 2A) : C. boinensis (déjà en danger critique) et C. bissetiae (déjà en danger). Malheureusement ce genre d’évènement s’observe dans quasiment toutes les régions de la côte Ouest de Madagascar, là où il y a des Baracoffea. Près du village d’Antsanitia (Nord-Ouest) où deux espèces de Baracoffea sont présentes, l’urbanisation s’étend très rapidement vers la zone de distribution de ces deux espèces. De plus, on dénombre à peine environ une vingtaine d’individus au total pour Coffea ambongensis et une dizaine d’individus seulement pour Coffea bissetiae. Ces effectifs trop faibles présagent de la disparition probable de ces espèces dans un futur proche.

Coffea ambongensis, arbuste, détail de la partie végétative, fruit desséché sur pied en position terminale de ramification et deux graines visibles.

 

Ramifications et fruits de Coffea bissetiae.

 

Coffea boinensis, ramifications et fruits non matures.

 

Etant donné cette situation et les potentialités des Baracoffea en tant que source potentielle de gènes d’adaptation, il est plus qu’urgent de sauvegarder ces espèces. La meilleure façon de les préserver actuellement, avant qu’elles ne disparaissent pour toujours, c’est de les intégrer dans une collection ex-situ. Dans la mesure où par le passé, plusieurs tentatives de mise en collection à Kianjavato (côte Ouest) ont échoué, une mise en collection ex-situ sur la côte Ouest au sein de l’Université de Majunga doit être envisagée. Cette collection analogue à celle des Mascarocoffea maintenus à Kianjavato devrait intégrer toutes les espèces de Baracoffea. L’urgence de cette mise en collection est une évidence si on se réfère au statut de conservation de ces espèces sur la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature.

Jeunes boutures de Coffea bissetiae. En dépit d’une bonne reprise de croissance en pépinière, le transfert en terre au sein de la collection de Kianjavato, côte Est, ne permet pas aux plantules de se développer.

Comme toute autre collection ex-situ, une collection installée au sein de l’Université de Majunga et sous sa responsabilité offrirait l’opportunité de conserver un nombre suffisant d’individus pour chaque espèce afin de maintenir les espèces du groupe Baracoffea et d’éviter leur extinction.

Jouant aussi le rôle de collection de travail, la collection de Baracoffea permettra aussi différentes études. A savoir, estimation de la diversité génétique, analyse des caractéristiques de développement végétatif et de phénologie, étude du comportement face aux stresse biotiques et abiotiques, estimation des qualités organoleptiques et agronomiques.

Rickarlos Bezandry, étudiant PhD, Université de Majunga